Dans une interview donnée à Ref’mate, dont il est le parrain, Eddie Viator se livre sur l’arbitre moderne. Un entretien intitulé « NO REF’, NO GAME », que vous pouvez écouter ou réécouter en cliquant juste ici !
Arbitrer c’est prendre des risques en permanence, c’est oser des choses. C’est se dire « allez je ne vais pas siffler » parce que je vais donner un avantage. Je peux me tromper mais je prends le risque.
Eddie Viator
Tu es sur la scène internationale depuis les années 2000. Est-ce que tu as perçu une évolution dans l’arbitrage, dans les consignes ? On parle beaucoup d’arbitrage moderne. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un arbitre moderne c’est un arbitre qui est dans l’état d’esprit pur du basket. Il y a quelques années, l’arbitrage était assez rigide, il y avait beaucoup de distance entre les gens sur le terrain même si, après le match ça se passait plutôt bien. Il y avait moins de communication. On était à deux arbitres, maintenant on est à trois. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de communication avec les joueurs et les entraîneurs, on explique, on prend un peu plus de temps pour parler. C’est l’arbitrage moderne mais quelque part, ça vient contrecarrer le rôle de l’arbitre parce qu’on ne peut pas faire des cliniques sur le terrain. On ne peut pas expliquer des règles en permanence ! Donc l’arbitre moderne est ouvert, communicatif, mais il ne faut pas qu’il oublie son rôle principal qui est de donner du rythme à une rencontre, de gérer. Et je trouve que c’est ce qui le valorise le moins : c’est sa communication qui est bien mais parfois trop.
Du coup on parle d’arbitre moderne. Est-ce que ce n’est pas aussi relié à la vitesse du jeu qui a beaucoup évolué ?
Tout à fait. On peut constater qu’il y a une différence notamment entre l’EuroLeague et le Championnat de France. Quand j’ai démarré sur l’EuroLeague et que je venais arbitrer les matchs français juste après, je m’apercevais que la vitesse de jeu était un peu différente. Je veux pas dire que c’était presque au ralenti mais il y avait une technique de jeu, une rapidité et un jeu physique sur l’EuroLeague qu’on ne retrouvait pas en France.
Tu peux le dire, tu t’ennuyais en Pro A ? (rires)
C’est pas que je m’ennuyais, mais le rythme était différent. Je trouvais l’arbitrage plus simple en France parce que ça allait moins vite. Je sais que Mehdi Difallah, qui est en EuroLeague en ce moment, a constaté la même chose. Alors aujourd’hui, ça a un peu changé. La Jeep Elite a vraiment évolué au niveau Européen. Le basket français a beaucoup progressé en terme physique, en terme technique, et je ne dirais pas qu’on est loin de l’EuroLeague, au contraire, on est très proche. Et l’arbitre moderne doit s’adapter à ça.
S’adapter c’est favoriser le spectacle ?
C’est important que l’arbitre soit dans l’esprit parce que c’est facile pour un arbitre de siffler des « 3 secondes », des « marcher » à la demande du coach parce que son équipe ne défend pas très bien. Mais le but c’est de laisser le spectacle se dérouler, de favoriser le jeu, la rapidité, les belles actions. C’est ce que tout le monde a envie de voir.
Être arbitre moderne c’est aussi prendre des risques du coup ?
Voilà un mot que j’adore ! Arbitrer c’est prendre des risques en permanence, c’est oser des choses. C’est se dire « allez je ne vais pas siffler » parce que je vais donner un avantage. Je peux me tromper mais je prends le risque. Ou alors je vais siffler parce que là il faut arrêter. Et j’ai basé la majorité de ma suite de carrière par rapport à ça.
Donc à chaque fois on est un peu sur le fil. Comme tu le dis, parfois le risque paye mais quand ce n’est pas le cas, comment tu gères cette erreur ?
Tu ravales ta salive (rires). Parce qu’il y a quand même des gens qui sont ne sont pas contents derrière. Donc oui tu es sur le fil à chaque fois donc à un moment donné tu chutes mais tu apprends. Tu apprends à aller à la limite de la limite. Ce qui fait que la fois d’après, si tu retrouves le même style d’action, tu sais que tu peux aller jusqu’à une certaine limite qui ne va pas te faire tomber et qui ne va pas désavantager une équipe.
Donc pour des arbitres qui ne sont pas forcément sur le Haut Niveau, tu les encourages vraiment à aller chercher cette expérience, ce feeling, parce qu’il est essentiel aujourd’hui pour le basket moderne ?
J’aime bien pousser mes collègues mais surtout les laisser faire, prendre des risques et oser faire des choses. Après, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Certains arbitres ont besoin de suivre la règle à la perfection en étant presque puriste et il y en a qui arrivent à prendre ces risques là et c’est ce qui fait qu’on a une homogénéité dans l’arbitrage parce que c’est assez dilué entre nous.
Donc un bon arbitre, ce n’est pas un arbitre scolaire, c’est un arbitre qui à certains moments sort aussi du cadre et va chercher ce coup de sifflet ou ce « no call » même s’il y a peut-être une faute ou une violation ?
Indéniablement parce que le basket est un sport, par les règles, sans contact mais il existe de nombreux contacts et que tous les contacts ne sont pas des fautes. Et l’arbitre moderne doit avoir en tête qu’il y a de nombreuses situations où il doit pouvoir laisser jouer.
Du coup il faut aussi que les joueurs intègrent ça. Qu’effectivement ils peuvent être victimes d’un contact mais que ce contact ne sera pas systématiquement sanctionné d’une faute. Donc comment on accompagne les joueurs là-dedans ?
On entend souvent les joueurs et les entraîneurs parler de compensation. Il n’y a de compensation. On n’est pas là pour faire plaisir à tout le monde en faisant tirer 25 lancer-francs de chaque côté ou en sifflant 25 fautes de chaque côté. C’est pas ça le travail parce que les équipes ne défendent pas de la même manière. Après ce qui est important, c’est que le joueur comprenne que l’on ne va pas siffler une faute alors qu’il est encore en contrôle du ballon d’une manière globale et qu’il n’y a aucun impact sur le jeu. Parce que, comme je le disais tout à l’heure, c’est facile pour nous de donner des coups de sifflet mais le but ce n’est pas de donner un coup de sifflet à chaque fois qu’il y a un petit contact parce qu’en faisant ça, on va bousiller le spectacle et on ne veut pas ça. Ce qui est important, c’est de laisser un avantage au jeu. Au basket ce mot « avantage » existe, il est clairement écrit dans le code de jeu et dès qu’on perd cet avantage, on doit intervenir.
Pour mêler tout ça il faut un mot qu’on aime beaucoup : la cohérence. C’est le rôle de l’arbitre d’avoir cette cohérence dans ses décisions ?
C’est son rôle et c’est là où les gens diront que l’arbitre a été juste et fort. STRONG AND FAIR !
© Crédit photo : Nguyen Tuan