Tony Chapron, a.k.a Le Petit Chapron Rouge. Tous les fans de football le connaissent. Il a arbitré sur les pelouses du monde entier pendant de longues années. Début 2018, sa carrière s’interrompt brutalement : l’image du coup de pied qu’il donne à un joueur nantais fait le tour du monde. Aujourd’hui, Tony Chapron parle librement. La justice, l’humanité, la solitude ou la beauté du sport … Le discours passionnant d’un homme sincère et attachant. L’ex-arbitre de 48 ans se confie à Grégoire Margotton.
Un arbitre, on lui donne le droit de faire 5% d’erreurs sur une rencontre. Un joueur, 25% ! Messi, par exemple, il réussi 85% de ses passes avec Barcelone.15% d’erreurs, mais 85% de bonnes décisions. Et nous les arbitres, on est à 95% de bonnes décisions !
Tony Chapron
Comment es-tu devenu arbitre de football ?
On dit que les arbitres sont des joueurs qui étaient sur le banc, mais ce n’était pas mon cas. Moi, j’étais sur le terrain et je râlais sur les arbitres (rires). Un jour, il y a un dirigeant qui est venu me voir et qui m’a dit que comme je râlais tout le temps et qu’il fallait des arbitres, j’allais prendre un sifflet et arbitrer pour voir la difficulté de la tâche. Il m’a trouvé pas mal et il m’a filé le bouquin des Lois du Jeu en 1986. J’ai découvert qu’il y avait un règlement que je n’avais jamais lu, comme la plupart des joueurs et des journalistes (rires), et je me suis trouvé idiot car jouer à un jeu où on ne connait pas les règles, c’est plutôt embêtant ! J’ai ensuite passé l’examen quand j’avais 15 ans et derrière j’ai arbitré mes premiers matchs officiels.
Tu te souviens de ton premier match sur lequel tu as officié ?
Je me souviens de mon premier match qui était un peu particulier, car je n’ai même pas donné le coup d’envoi. C’était dans un village perdu en Normandie et le terrain était gelé. C’était des minimes. Le terrain était impraticable et moi en plus je suis très frileux (rires). Déjà que j’avais un peu peur de mettre mon premier coup de sifflet, en plus de l’aire de jeu impraticable, ça a arrangé tout le monde de rentrer chez soi. Donc c’était la première fois que j’arbitrais un match sans faire d’erreurs puisque le match n’a pas eu lieu ! Quoi que l’observateur m’a demandé si j’avais notifié tout ça sur la feuille de match, chose que je n’avais pas faite, évidemment. J’avais déjà fait une erreur sans même avoir mis un coup de sifflet ! (Rires)
Comment définis-tu le rôle de l’arbitre ?
Le rôle de l’arbitre est comme le rôle d’un chef d’orchestre. Il essaye de mettre tout en musique pour que chacun puisse tirer le meilleur de ses capacités. Il est là pour faire en sorte que les meilleurs joueurs puissent s’exprimer. Quand tu es sévère, c’est parce que tu dois protéger les joueurs qui jouent selon les règles. En tant qu’arbitre, on doit faire en sorte que les meilleurs joueurs puissent s’exprimer sans être mis en danger.
Avant le match, dans le vestiaire et lors de l’échauffement, faut-il se programmer à devenir petit à petit un robot ? Est-ce possible d’entrer sur un terrain et de mettre ses sentiments de côté pendant 90 minutes quand on arbitre des êtres humains ?
Non. C’est impossible car nous aussi nous sommes avant tout des êtres humains ! Si on était des robots, ce serait vachement plus simple (rires).Tu peux avoir plusieurs sentiments au cours d’un match. La peur de mal faire, la frustration, la rancoeur même parfois quand un joueur s’adresse mal à toi. Parfois de la colère ou de la joie également. La joie de participer à un spectacle où tu es le premier spectateur ! Tu prends du plaisir à voir s’exprimer les joueurs talentueux et tu peux arbitrer des joueurs pour qui tu as de l’admiration. Tout cela est compliqué mais il n’y a pas que ça, sinon on n’irait pas tous les weekends sur les terrains ! (Rires).
Un bon arbitre est quelqu’un qui est en confiance.
Tony Chapron
Il y a des comportements que tu avais du mal à accepter quand tu étais sur le terrain ?
Je ne supportais pas le manque de respect. Les contestations, les insultes du public, ça me semblait … injuste. L’arbitre tout au long du match on lui manque de respect, parfois même en sortant du stade. Et je me dis parfois « mais qu’est-ce qu’on ferait sans les arbitres ? ». Sans les arbitres on ne peut pas jouer et il faut prendre conscience de ça.
Tu es passé par beaucoup d’émotions lors de ta carrière, comment les as-tu vécues ? Étais-tu accompagné ?
Dans la difficulté, je me suis toujours senti seul. Quand tu repars chez toi après un match, tu es tout seul. Quand tu t’entraines, tu es tout seul. Quand tu es critiqué, tu es tout seul. Ce n’est pas comme dans une équipe. Un joueur qui rate un pénalty, le lundi quand il va à l’entrainement, il a tous ses coéquipiers qui sont là à lui taper dans le dos en lui disant que c’est le jeu et que c’est pas grave. L’arbitre, quand il fait une grosse erreur, le lundi il va s’entrainer tout seul sous la pluie et il n’y a personne qui va venir lui taper dans le dos en lui disant que ce n’est pas grave. En terme de confiance c’est compliqué, et la confiance tu dois la trouver tout seul car un bon arbitre est quelqu’un qui est en confiance. Quand tu rentres chez toi après un mauvais match, c’est dur. Pour ma part ça se ressentait dans ma vie familiale et j’ai conscience d’avoir été insupportable par moment. Tu es marqué par les décisions que tu prends, surtout quand elles sont mauvaises.
J’ai fait une erreur, mais en même temps je suis un être humain. Donc perfectible et faillible.
Tony Chapron
On se souvient tous de ton geste lors de ton dernier match, comment tu étais en rentrant à l’hôtel ? Comment tu te sentais ? Tu savais ce que tu avais fait ?
Quand je rentre dans ma chambre d’hôtel, je sais tout ce qu’il se passe. C’est une sensation étrange. C’est un peu comme une alerte tsunami. Tu prends conscience du danger et tu n’imagines pas que la déferlante va être aussi terrible. Tu sais que ça va tanguer mais c’est une tempête force dix et tu te fais démonter. On parlait de solitude ou d’aide, là tu n’en as plus. Tu es seul et tu n’as plus personne. Tu n’as plus de boussole, plus de mat, et tu es tout seul au milieu de la tempête. Quand je rentre je m’y prépare mais pas à ce point-là. Je ne sens pas la fin. Je suis à l’hôtel avec mes assistants et il y en a un qui vient frapper à ma porte à 4h du matin et qui me dit « je viens te voir parce que je sais que tu ne dors pas et je sais que tu n’es pas prêt de dormir ». Quand tu prends ton téléphone, que c’est un déferlement de messages et que ta messagerie est pleine, tu te dis « là c’est chaud. La vague arrive ». Tu sais que ça va tanguer mais pas comme ça. Je ne mesure pas la gravité du geste, et là encore aujourd’hui, je ne mesure pas. C’était l’humain qui a réagi. Je ne sais pas ce qui se passe dans mon dos et pendant un moment, je ne sais même pas qui me pousse. À un moment donné, j’ai même cru que c’était un spectateur. Après tu vois la couleur de la chaussette au moment où tu tacles mais trop tard, la tacle est parti. Et tu sais que c’est un joueur … T’es pas préparé à ça. Les images, je les vois après dans les vestiaires, c’est Kita, le Président de Nantes, qui me les a amenées au vestiaire. Il m’a dit « j’ai des amis en Roumanie qui ont rigolé, vous êtes la risée de toute l’Europe ! ». Mais lui il n’avait qu’une obsession, c’était que je retire le carton rouge à son joueur qui devait jouer le mardi. J’ai rencontré un philosophe qui m’a dit « je me souviens de votre geste, et moi je l’ai perçu comme le retour de l’humanité sur les terrains de football. On oublie que les arbitres sont des Hommes. Et en quelques secondes, vous avez rappelé que vous étiez un homme et que vous étiez faillible. ». Aujourd’hui avec du recul, je peux dire que j’ai fait une erreur, mais en même temps je suis un être humain. Donc perfectible et faillible.
Flash Info Inutile : l’animal représenté sur le logo « Firefox » n’est pas un renard mais un panda roux !