Régis Bardera, arbitre de Betclic Élite et ex-arbitre international pendant 15 saisons, nous ouvre les portes de son intimité avec une sincérité désarmante. Comme il l’exprime si bien lui-même, il ne retient rien dans cette entrevue. « Je vais tout partager avec toi. Je n’ai pas d’image à protéger. Je vais vraiment te faire part de ce que je ressens, de ce que je vis… Je ne sais pas quelles questions tu vas poser. Mais j’ai une grande confiance et je me livre entièrement à toi. Complètement. Donc, il n’y a pas de sujets tabous. Je suis en faveur de la transparence. ». Au fil de cette discussion, nous plongerons dans le récit captivant de la chirurgie cardiaque qui a bouleversé sa vie et de son combat pour retrouver l’équilibre et l’énergie qui le caractérisent.
Régis, merci de nous accueillir. Avant de commencer, je remarque un vélo suspendu derrière toi. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
C’est amusant que tu remarques ça (rire). Tout simplement parce que je l’adore. Attends, laisse-moi te montrer quelque chose (ndlr. Il se dirige vers la chambre). Il y a le vélo dans le salon, le home trainer dans la chambre, mais surtout, est-ce que tu vois les clubs de golf derrière dans la boîte rouge ? En fait, c’est intéressant parce que… il est crucial de se projeter et de visualiser des moments agréables. Moi, tous les jours, je vois mon vélo et je me dis qu’à partir du mois de mai, je vais rapidement remonter dessus et me préparer pour la rentrée prochaine. Quant au club de golf, nous avons déjà prévu deux dates avec David Chambon. Je les vois tous les jours en me disant « waouh, dans deux ou trois mois, je vais rejouer au golf avec l’un de mes meilleurs amis ». Et en fait, ça… Le défi de remonter sur le vélo, le plaisir de retrouver son ami, de rejouer au golf, ça signifie que j’aurai retrouvé de la forme et de l’énergie.
Vélo, golf… Rien sur l’arbitrage donc ?
Eh bien… Je te confie qu’à toi, j’ai placé ma valise d’arbitre dans mes toilettes, chez moi. Je l’ai placée à la hauteur de mes toilettes pour la voir tous les jours et être prêt à revenir pour la saison prochaine. Pour être honnête, je l’avais un peu cachée pendant quelques semaines … Mais maintenant que ça va mieux, je l’ai remise et je la vois. Comme le vélo et le golf, je commence déjà à visualiser et à imaginer quand je pourrais revenir.
Pour commencer, pourrais-tu nous décrire le cheminement depuis le moment où tu as pris connaissance de ta situation jusqu’à l’intervention chirurgicale, et nous parler de tes pensées et sensations, tant sur le plan mental que physique ?
Tu sais, chaque année, nous remplissons un dossier médical pour l’arbitrage. Nous consultons un cardiologue et nous sommes tenus de fournir un dossier assez complet. Il faut passer un électrocardiogramme. Pendant 4-5 ans, à chaque fois que nous faisions le dossier médical, mon cardiologue était alerté par une insuffisance aortique. Il me disait qu’il fallait la surveiller mais les examens médicaux étaient rassurants et les épreuves d’efforts atteignaient d’excellents résultats. Je ne présentais aucun symptôme et les résultats me permettaient de réaliser des efforts physiques intenses. Donc j’ai arbitré, j’ai fait du triathlon… L’esprit libre. J’avais toujours réussi mes tests, pas d’inquiétudes particulières. Et puis l’été dernier, mon cardiologue m’a prescrit une IRM cardiaque. Le rendez-vous était fixé pour le 20 octobre. Et donc, j’avais déjà commencé à arbitrer. Je m’entraînais tous les jours pour mon activité d’arbitre et je préparais aussi mes triathlons pour l’été prochain.
Et ensuite, que s’est-il passé ?
Et puis (silence)… le vendredi 20 octobre, je suis allé à l’hôpital, à Nîmes. Nous avons passé l’examen qui a duré 30 minutes. J’ai toujours eu une bonne santé jusqu’à présent, donc j’y suis allé en toute confiance. Et là, il me dit, « votre valve aortique est au stade 4, ce qui est le stade maximum. Une intervention est nécessaire, il faut la réparer rapidement, car petit à petit, votre cœur va décliner. » Je l’ai regardé et je lui ai posé de nombreuses questions, je lui ai dit, « à partir de quand faut-il commencer à surveiller ? ». Il a répondu, « c’est dès maintenant, votre guérison. » Je lui ai dit que j’étais en pleine forme, que je m’entraînais, que je courais… Et là, il m’a expliqué que la difficulté résidait dans le fait que les chiffres étaient alarmants. Il y avait une fuite importante et le cœur travaillait énormément. Par précaution, une intervention était nécessaire. J’ai immédiatement consulté mon cardiologue qui m’a dit « je reviens vers vous rapidement, je vais vous recommander un expert mondial ».
De la date du vendredi 20 octobre à celle de ton opération, comment cela s’est-il déroulé pour toi ?
J’ai obtenu un rendez-vous avec un Professeur à Paris. J’arrive, je rencontre un homme extraordinaire humainement, brillant et mondialement réputé. Il m’a dit, « nous allons vous restaurer une espérance de vie normale. ». C’était sa première phrase, dite avec beaucoup d’élégance. Il continue et me dit, « effectivement, il y a une fuite importante, je pense que nous réussirons à la réparer. Et puis, il faudra trois mois pour reprendre l’activité. Ensuite, vous vous sentirez beaucoup mieux. Et progressivement, vous pourrez reprendre l’arbitrage, puis le triathlon et vivre normalement. ».
Tu attendais d’être prêt mentalement pour cette intervention. Que ressentais-tu ?
J’étais dans un état de stress extrême. Beaucoup de peur. Peur de ne pas me réveiller. Peur d’avoir mal. Parce qu’en fait, pour tout te dire, ma maman a été opérée deux fois à cœur ouvert. Moi, je vis constamment avec cette pensée où je vois la cicatrice de ma maman et je la vois souffrir. Donc, j’y pense tout le temps. Je me dis, « je vais souffrir. Je vais avoir mal. ». La peur, l’angoisse, le stress m’ont complètement affaibli. C’est à ce moment-là que j’ai décidé, avec Eddie Viator (Directeur Technique de l’Arbitrage, ndlr), de mettre fin à ma saison. Je n’étais plus en mesure d’honorer les matchs que j’avais programmés. Ce n’était pas correct vis-à-vis des joueurs, des entraîneurs, du public, de ma direction. Je n’en étais plus capable. Il fallait aussi que je me calme sur le plan sportif, donc j’ai mis fin à ma saison.
Comment s’est déroulée l’opération et la période post-opératoire ?
Tout d’abord, mon opération à cœur ouvert était programmée le mardi 30 janvier et elle a été reportée au mercredi 31. J’étais prêt, mais quand on m’a dit « on la reporte à demain », j’étais plutôt soulagé. Je suis retourné à mon hôtel et j’ai passé une bonne journée (rires). Le lendemain matin, quand je suis revenu, l’attente a été courte. Je suis entré au bloc. J’ai été endormi très rapidement. J’étais dans les vapes… Et je me suis réveillé. Donc, je pense que l’opération a duré environ 6 heures. Quand je me suis réveillé, j’étais soulagé. Ensuite, je suis resté hospitalisé pendant 10 jours. J’ai vécu des moments… (silence) très douloureux. La morphine m’a beaucoup aidé, mais c’était douloureux. J’ai reçu la visite de mes amis Thomas Bissuel, de David Chambon, de Nicolas Maestre et de Patrick Basset. Nicolas Raimbault et son épouse, Estelle, sont également venus me rendre visite. Ils ont tous prit le temps de venir me voir et j’ai été profondément touché par leur visite. Ensuite, je suis rentré chez moi au bout de dix jours.
Betclic Élite – Cholet vous ESSM – 09 mai 2023 – © PLedez
Qu’as-tu ressenti en rentrant chez toi ?
J’étais plutôt content de rentrer chez moi. J’étais assez soulagé, mais pas convaincu que j’étais complètement guéri. J’avais peur de me dire « est-ce que ça a marché ? ». Ensuite, je suis parti en centre de rééducation pendant presque trois semaines, où nous avons repris une activité. Ce fut une période délicate où j’étais affaibli, où j’avais encore beaucoup de douleur. J’en ai toujours d’ailleurs.
Qu’est-ce qui te faisait le plus peur ?
La peur de la rééducation surtout. J’ai appris à être patient, à savourer chaque petit progrès. Je marchais dix mètres, je m’arrêtais. Je montais un escalier, je m’arrêtais. Je me rendais à ma chambre en plusieurs étapes. J’ai appris à apprécier les petits progrès et à gérer la douleur. J’ai essayé d’arrêter rapidement le Tramadol (antalgique, ndlr) pour ne pas être trop sous drogue. Donc j’ai appris à gérer la douleur et à travailler sur moi-même mentalement, en utilisant la respiration et des pensées positives.
Dans quel état physique tu te trouvais pendant ces jours qui ont suivi cette opération ?
J’étais complètement épuisé, sans énergie. Malgré le fait d’être préparateur mental, j’ai moi aussi des moments difficiles. Je me demandais, « serai-je capable de revenir ? Serai-je un jour en mesure de vivre normalement, de retrouver ma force, de vivre sans douleur, de retrouver de l’énergie, de refaire du sport, d’arbitrer à nouveau, de reprendre le triathlon ? ».
Mentalement, pour « combattre » ce questionnement constant, qu’as-tu mis en place ?
Excellente question. Deux choses. Tout d’abord, j’ai réussi à prendre du temps pour moi-même, ce que je n’avais jamais fait auparavant. M’arrêter face au soleil, rester une heure, prendre du temps, me reposer et écouter ce que mon corps me dit. Ensuite, le travail était plutôt mental. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs, mais chaque fois que les infirmiers, les médecins ou les cardiologues entraient dans ma chambre, ma première question était de leur demander comment ils allaient. De m’intéresser à eux. Je me suis souvenu que j’ai une sincère curiosité envers les autres. Tu ne me verras jamais juger quelqu’un d’autre. Je suis resté moi-même même quand j’étais au plus mal et ça m’a rappelé qui j’étais en tant qu’humain et qui je suis en tant que professionnel à travers toutes les personnes que j’accompagne. Ça m’a aussi rappelé qui j’étais en tant qu’arbitre et que j’avais l’intention profonde de revenir en forme en septembre.
Comment te définirais-tu pendant cette période ?
Combattant. Je suis un combattant. Je l’ai été dans le basket depuis le premier jour, depuis l’âge de 16 ans. Depuis l’âge de 16 ans, je suis un combattant. Je me bats et je ne lâche rien. Je ne lâche pas parce que… ma maman… elle n’a jamais abandonné. La seule fois, c’est lorsqu’elle a subi une attaque cérébrale, elle n’a pas pu résister, elle est partie. Donc, j’ai ça au plus profond de moi et ça me donne de la force. Je suis un homme de projets, de défis, courageux. Et je ne lâche rien. Combattant.
Tu as parlé de reprendre tes activités basket, triathlon… Comment envisages-tu cette transition et y a-t-il des pratiques ou des habitudes que tu as développées pendant ta convalescence que tu comptes conserver lorsque tu seras guéri ?
Eh bien, il y en a une, je te l’ai déjà mentionnée : prendre chaque jour un moment pour moi. Un moment de repos. C’est une activité. Un moment où je suis là, assis, regardant autour de moi, la nature. Et je pense que je vais intégrer des siestes aussi ! (Rires). Ce matin, je suis sorti de chez moi, je suis sorti à pied. Je suis allé dans un petit café. Un excellent café latté avec un petit biscuit fait maison. Voilà. J’ai pris une heure et je suis allé boire mon café et mon biscuit tout seul. Tout seul. En silence. Allez, je t’avoue que j’avais un peu de musique. Mais ensuite, j’ai tout arrêté, et j’étais juste là. Je savourais mon café. C’est quelque chose que je ne faisais pas forcément avant. Voilà ce que j’ai retenu : prendre du temps pour moi.
Peux-tu nous parler de la suite de ta rééducation ?
À partir du 15 mai, je vais entamer une préparation physique intensive qui durera quatre mois. Je travaillerai avec un préparateur physique six jours par semaine, en alternant différents types d’activités : renforcement musculaire, vélo, course à pied, natation, randonnée et paddle. L’objectif est de me réathlétiser et d’être prêt pour la prochaine saison.
Quand tu évoques la saison prochaine, tu espères être prêt pour ton test physique dès septembre ?
Je fais tout mon possible pour être prêt le 1er septembre et réussir mon test physique. Je mets tout en œuvre pour que ma santé soit au rendez-vous ce jour-là et que je sois complètement remis physiquement.
Y a-t-il des doutes quant à ta capacité à l’atteindre ?
Il y a toujours des doutes à certains moments. Tu te dis parfois « aujourd’hui, tu es très fatigué » et puis très vite je me reprends en me disant « ok, il te faut encore quelques jours pour retrouver un peu plus d’énergie ». Selon le Professeur et le cardiologue, je devrais être prêt pour septembre pour l’arbitrage et pour le triathlon, ce sera plutôt l’été 2025. Step by step.
Aujourd’hui, comment vas-tu ?
Aujourd’hui, je suis gueri, mon coeur fonctionne bien, je suis soulagé, c’est derrière moi, je regarde devant. La valve est réparée, le cœur fonctionne normalement et mon corps est soigné. Il y a quelques jours, j’ai rencontré le professeur. Je suis sorti du batiment, je me suis retourné ; ça y est, l’Institut de cardiologie est derrière moi, cette épreuve n’est plus devant. Elle est le passé. Encore de la patience, du travail, et devant moi le ☀️.
Au terme de cet entretien émouvant et inspirant, une chose est claire : Regis Bardera incarne la résilience et la détermination. À travers ses mots, nous avons été témoin de sa lutte contre l’adversité et de sa capacité à se réinventer. Son témoignage, marqué par des hauts et des bas, est un exemple de courage et de persévérance. Alors que Regis se prépare à affronter de nouveaux défis, nous ne pouvons qu’être admiratif de sa force intérieure et de sa volonté de se relever, encore et toujours. Rendez-vous en septembre prochain …
Photos de cette Interview : © Pauline Ledez/RT